Brandon Vickerd
TORONTO, ONTARIO
Challenger
Intentionnellement diversifiée, ma production artistique se réclame à la fois de la simplicité et de la sophistication. Elle constitue un catalyseur de la pensée critique et elle traite de la promesse illusoire d’un futur moderniste fondé sur des progrès scientifique infinis. Que je recoure au savoir-faire artisanal, à la création de spectacles ou à l’humour, mon but est d’amener la personne qui regarde à remettre en question ce mythe prépondérant du progrès qui est enraciné dans la mentalité occidentale.
Challenger présente une réplique de la trappe d’évacuation de la navette spatiale de la NASA, qui se serait écrasée sur une boîte aux lettres de Postes Canada en tombant du ciel. Cette sculpture exprime la relation entre les aspirations technologiques de l’humanité et les répercussions de l’échec* sur notre psyché collective. La mise en scène de la collision brutale d’un engin de l’ère spatiale avec un banal élément du mobilier urbain montre que notre rêve collectif de voyage dans l’espace nous fait fréquemment oublier l’univers physique que nous habitons.
Challenger évoque la nostalgie d’un passé où la science annonçait un avenir sans limites, et non ce monde de demain, très étrange et souvent effrayant, où nous nous trouvons à vivre aujourd’hui.
* Rappelons que, le 28 janvier 1986, la navette spatiale américaine Challenger s’est désintégrée 73 secondes après son décollage, provoquant la mort des sept astronautes à son bord.
PHOTOS : Félix Michaud
Biographie
Brandon Vickerd vit à Hamilton. En plus de son travail d’artiste, il est professeur de sculpture à l’Université York, à Toronto, où il occupe également le poste de directeur du Département d’arts visuels et d’histoire de l’art. Il détient un baccalauréat en arts de l’Université Nova Scotia College of Art and Design (1999) et une maîtrise en arts de l’Université de Victoria B.C. (2001). Au pays et à l’international, plusieurs expositions individuelles et collectives ont permis de voir ses œuvres. Son travail de recherche lui a valu de nombreuses bourses du Conseil des arts du Canada.
Inspirée de l’oeuvre Challenger de Brandon Vickerd et de quelques visites à la réserve du Musée POP, Les tombées-du-ciel est une microfiction de Monique Juteau. Ce récit met en lumière une histoire inventée de toutes pièces, dans laquelle un certain monsieur Lalancette, spécialiste des rêves des souris, est invité par le ministère de la Stratosphère à étudier les tombées-du-ciel.
Romans, récits, recueils de poésie, Monique Juteau a treize publications à son actif dont Voyage avec ou sans connexion (Éditions d’art Le Sabord), Prix du CALQ 2016, Centre-du-Québec. Ses deux plus récentes parutions sont Les Lalancette (Éditions d’art Le Sabord, 2016), œuvre conçue en collaboration avec l’artiste Fontaine Leriche, et Tête à poux (Écrits des Forges, 2017). Parmi ses prix et distinctions, on compte le prix Félix-Antoine-Savard en 2001 et un Grand Prix littéraire de Radio-Canada en 2002. Au cours d’une résidence à Lyon (programme Échanges d’écrivains du CALQ), elle a écrit Des lieux, des villes, un chou-fleur (Écrits des Forges).
Les Tombées-du-ciel
Microfiction de Monique Juteau
Inspirée de l’œuvre de Brandon Vickerd et de quelques visites à la réserve du Musée POP
Louis Lalancette, célèbre spécialiste des rêves des souris, est de plus en plus préoccupé par le nombre grandissant de tombées-du-ciel. Partout sur la planète, des gens voient tomber des objets de toutes sortes, mais dix minutes et trente secondes plus tard (exactement), ces choses disparaissent. Monsieur Lalancette en a perdu le sommeil. Sa mère a beau lui rappeler l’existence de cette théière-somnifère qu’elle lui a postée le mois dernier, rien n’y fait. Et de nouveau, cette nuit, pendant qu’il combattait ses insomnies, une ondée de…
Une ondée de billes gélatineuses aurait répandu une odeur de banane trop mûre dans les rues de Saint-Paulin. Phénomène d’autant plus surprenant qu’on ne trouve plus de bananes sur le marché depuis la maladie de Panama qui les a décimées. Aussi Louis Lalancette s’est-il rendu sur place afin de vérifier l’authenticité de cette tombée numéro 2156. Rien. Encore une fois. Aucune trace visible. Toutefois…
Toutefois, en mangeant dans un casse-croûte du coin, le savant a détecté un arrière-goût de banane dans son pain à hot-dog. Il est revenu dans son laboratoire, l’esprit chargé de doutes. Une missive du ministère de la Stratosphère l’attendait lui ordonnant d’abandonner ses recherches sur les rêves des souris. Il devra dorénavant se concentrer sur les tombées-du-ciel afin de prouver qu’elles ne sont que des fabulations, de fausses nouvelles au même titre que la pollution électromagnétique. Pourtant…
Pourtant des témoignages s’accumulent au ministère de la Stratosphère. Hier encore, trois gardiens de nuit disent avoir vu s’abattre des queues de renard argenté sur Fort McMurray, en Alberta. Cette tombée-du-ciel numéro 2160 était, semble-t-il, féérique. Puis…
Puis, par une soirée de décembre, en allant poster la traditionnelle carte de Noël à sa mère qui déteste les souhaits virtuels, monsieur Lalancette leva la tête, intrigué par un sifflement provenant de la voûte céleste. Un objet ressemblant à une antenne parabolique virevolta dans les airs, puis s’écrasa sur une boîte aux lettres du quartier. Les tombées-du-ciel devenaient lourdes et dangereuses. Dix minutes et trente secondes plus tard, le bidule avait totalement disparu, comme toutes les tombées-du-ciel. Avait-il rêvé ? Le lendemain…
Le lendemain, dans le journal, on déplorait le manque de civisme de certains citoyens qui, juste avant Noël, auraient saccagé une boîte aux lettres. Surpris, Louis Lalancette se mit à douter de ce qu’il avait observé. Puis quelques jours avant le premier de l’An, afin de tranquilliser la population, le ministère…
Le ministère de la Stratosphère annonça la date de la remise des Cerveaux de porcelaine récompensant cinq scientifiques convaincus que les tombées-du-ciel n’existaient pas. Des répliques des Cerveaux de porcelaine furent immédiatement fabriquées et mises en vente comme autant de bondieuseries. La mère de monsieur Lalancette s’empressa d’en commander quelques exemplaires, certaine que son fils serait l’un des lauréats, mais…
Mais Louis Lalancette, bien que célèbre scientifique, ne figurait pas parmi ces cinq personnalités, car il avait douté et doute encore.
Vitrine 1
Objets de la collection du Musée POP :
Coupe-hosties, vers 1940, bois, métal, peinture
Piège à souris, vers 1930, bois, métal
Monsieur Louis Lalancette, scientifique de renommée internationale, poursuit une recherche sur les neuro-nano-caméras HD capables de saisir les images que produisent les rêves et les cauchemars des souris. Les manifestations oniriques enregistrées jusqu’à maintenant se résument en une succession de gros plans de trappes à souris qui claquent dans la nuit. Comme si ces rongeurs, nés en laboratoire, pouvaient rêver d’objets qu’ils n’ont jamais connus, mais qui ont hanté la vie de leurs ancêtres circulant à l’époque librement dans les murs des maisons.
Et si Louis Lalancette a décidé d’entreprendre des études en sciences, c’est grâce à l’influence de son oncle Adélard Lalancette, inventeur d’une rondelle nutritive contenant six nanolux d’espoir et cinquante-six grammes de farine protéinique. Adélard a également conçu un appareil à long manche, de type artisanal, lui permettant d’accélérer la multiplication de son produit révolutionnaire, très populaire en Contrée-Lointaine, pays plongé dans le noir des belligérances sans fin.
Vitrine 2
Objets de la collection du Musée POP :
Théières, vers 1980, céramique, peinture, glaçure
La mère de Monsieur Lalancette est collectionneuse d’objets de porcelaine, surtout les théières. Elle les achète en ligne, mais elle choisit toujours les livraisons par la poste, car les drones n’arrivent jamais à déposer les colis à la bonne adresse. Elle a même signé une pétition adressée au ministre de la Stratosphère afin d’interdire le va-et-vient incessant des drones qui volent à trop basse altitude au-dessus des maisons. Elle a aussi participé à une manifestation s’opposant à l’abolition du service postal et au retrait éventuel des boîtes aux lettres publiques.
Vitrine 3
Objets de la collection du Musée POP :
Sac d’écolier, vers 1950, cuir, métal
Pierres, non datées, Collection archéologique, Ministère de la culture et des communications
Tombée-du-ciel numéro 2160
Une mystérieuse grêle de cailloux aurait recouvert la cour d’une école d’une ville houillère des États-Unis. Galets que les enfants ont aussitôt glissés dans leurs poches tels des Petit Poucet craignant que tombent des forêts de suie noire dépourvues de chemins. Comme toutes les Tombées-du-ciel répertoriées, dix minutes et trente secondes plus tard, elles avaient disparu. Il n’y avait plus rien, ni dans la cour d’école ni dans les poches des gamins.